Programmes des concerts 2005 - 2006 du "Concert dans l'Oeuf"


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"LE LIVRE VERMEIL"

Composition de l'Orchestre et du Choeur :

Les solistes de la "Capella Sylvanesis" avec un choeur de 25 chanteurs, femmes et hommes de la "La Camerata de Brive",
et en invitée Sophie de Dixmude à la sacqueboute et aux cornemuses.
La direction du choeur est assurée par Jean-Michel Hasler.

Les 5 musiciens du "Concert dans l'Oeuf" sont spécialisés dans les pratiques instrumentales diversifiées (influences des troubadours, arabo-andalouse, pays de l'Est, italienne, catalanes).

Cet orchestre a déjà réalisé de nombreux oeuvres et programmes avec J-M. Hasler.

Luis Barbán : Santur, tympanon
Jacqui Detraz : Bendir, doïra, darbouka, reqq
Maurice Moncozet : Flûtes, chalemies
Mick Rochard : Oud, saz, guiterne
Christian Zagaria : Quinton, oud

 

Le Manuscrit...

Dans la bibliothèque du monastère de Montserrat, riche de quelque 250 000 volumes, devait être découvert un précieux manuscrit recouvert de velours rouge, d'où lui vint son titre de " Livre Vermeil".

Si cette couverture a été rajoutée au siècle dernier, l'ouvrage, lui, est daté de 1399. Orné de miniatures, il contient, outre des traités ascétiques, récits édifiants, bulles en latin et en catalan, la plus ancienne collection européenne de chants et danses de pèlerins.

Le copiste, à la suite du premier fragment, nous fournit d'intéressantes indications sur leur destination :

Car parfois les pèlerins, quand ils viennent à l'église de la "Vierge Marie de Montserrat", aiment danser et chanter, et aussi sur la place, pendant le jour, et là ne doivent chanter que des chansons honnêtes et pieuses, pour cette raison, il y en a décrites ci-dessus et ci-dessous.

Elles doivent être utilisées de façon convenable et modérée, afin que ne soient pas dérangés ceux qui continuent leurs prières et leurs méditations, auxquelles tous doivent se consacrer d'ailleurs dans une attitude pieuse pendant la prière de la nuit.

Les textes des poèmes sont en latin, à l'exception de deux d'entre eux, rédigés en catalan, qui figurent ainsi parmi les écrits littéraires les plus archaïques de cette langue.

 

Si la plupart des pièces reproduites ont été conçues bien avant leur insertion dans le "Livre Vermeil" et proviennent de diverses sources, certaines semblent avoir été composées à Montserrat même.

C'est le cas de la première, seule à être en notation carrée, celle du grégorien, tandis que pour les autres, dans le style de l'Ars Nova contemporaine, a été adoptée la notation en vigueur pendant XIVème siècle.

Ce "O Virgo splendens" est en effet un contrafactum, une adaptation de l'antienne "O Virro visa", copiée sans musique par un autre moine du prieuré dans un manuscrit daté de 1382.

Après l'exposition à l'unisson, cette oraison, ornée de mélismes, de vocalises traduisant la supplication, est reprise en canon à deux voix.

Comme "Cuncti simus concanentes", "Polorum regina", "Mariam matrem" et "Ad mortem festinamus", "Stella splendens" est un virelai, poésie chantée, puisqu'à l'époque on ne concevait pas un poème sans sa mélodie.

Cette forme comprend un refrain de deux vers et des couplets de quatre vers dans lesquels les deux derniers suivent l'air du refrain avant le retour de celui-ci.

Ce "Stella splendens" est accompagné de la mention "ad trepudium rotundum" tandis que le "Polorum regina" comporte l'indication "a ball redon", "dansé comme une ronde", précisions uniques dans les recueils de cette période.

Paradoxalement, dans cette Espagne austère, réputée pour son mysticisme, dès avant le XIIIème siècle, on dansait souvent pendant les offices religieux.

Cette coutume devait se perpétuer jusqu'au XVIIIème siècle, particulièrement à la cathédrale de Séville, alors que, farouchement interdite en plusieurs occasions par la papauté, elle s'était éteinte vers la fin du Moyen Age dans le reste de l'Europe.

Le "Mariam matrem", d'une structure plus élaborée, avec ses trois voix, son superius la plus élevée d'entre elles très épuré, très gracieux, est sans doute l'oeuvre d'un créateur français ou flamand de la cour d'Aragon.

Quant au "Ad mortem festinamus", si son texte est connu par deux autres sources, française et irlandaise du XIIIème siècle, il semble que nous soyons néanmoins en présence du premier exemple complet de ces danses macabres qui abonderont au XVème siècle, suscitées par les épouvantables épidémies de peste noire qui ravagèrent l'Occident.

À des formes différentes appartiennent les autres pages. "Los set goyts", également précédée de la formule "a ball redon", est une ballade, chanson à danser proche parente du virelai, très en vogue dans la France d'alors.

Chaque strophe de huit vers compte un couplet de deux phrases musicales répétées, puis deux vers empruntant l'air du refrain avant le refrain lui-même, reconnaissable ici à ses paroles en latin. "Laudemus Virginem" et " Splendens ceptrigera" sont des "chaces", autrement dit des canons à trois parties, à la mode de l'Ars Nova francaise.

Enfin, "Imperayritz de la ciutat joyosa", motet écrit toujours sous cette influence d'outre Pyrénées, vraisemblablement par un Aragonais, s'il n'a pas de teneur thème de base tiré du répertoire sacré ou profane, essentiel dans un morceau de ce genre, possède un équilibre, une souplesse tant dans le rythme que dans la mélodie qui ne peuvent guère être que la marque d'un compositeur confirmé.

Entre les pièces du "Livre Vermeil" ont été intercalées des "Cantigas de Santa Maria" dans leur version instrumentale.

En effet, Alphonse X le Savant (1221 - 1284), roi de Castille et de Leon, protecteur des lettres et des arts, avait rassemblé sous ce titre des histoires édifiantes, des traités de théologie, et 420 chansons dédiées à la Vierge. Le souverain, auteur d'un certain nombre de ces chansons, en avait dédicacé une demi-douzaine à la "Moreneta de Montserrat", car, pensait-il :

"Nous devons, nuit et jour,
Rendre par conséquent
A la Vierge Marie Mille grâces, parce qu'elle délivre
Les siens du mal
Et infailliblement
En lieu sûr les conduit".

À côté de récits de miracles non dénués de drôlerie, voire d'ironie, se trouvent donc quelques pièces musicales. Comme pour celles du "Livre Vermeil", les membres du "Concert dans l'oeuf" y emploient une trentaine d'instruments différents. Leurs guitares sarrasines, luths et percussions proviennent de pays arabes ou orientaux; les autres sont des reconstitutions d'après des enluminures, des peintures, des sculptures du Moyen Age.

Les cordes pincées sont représentées par les luths, la harpe, et diverses sortes de guitares; les cordes frottées par les vièles à archet, le rebec que l'on tient pour l'ancêtre du violon, et la vielle à roue ; les cordes frappées par le tambour de Béarn et le tympanon. Parmi les vents figurent l'orgue portatif, les flûtes, certaines d'origine arabe ou orientale et les chalemies qui, avec leur anche double, annoncent le hautbois.

Comme à l'époque médiévale, est utilisée une grande quantité de percussions de peau, de bois, de métal, de terre cuite, venant pour la plupart d'Afrique du Nord, du Moyen Orient, et même de l'Inde. Au Moyen Age, seuls airs et paroles étant notés, on avait toute latitude de jouer les oeuvres selon l'inspiration du moment, selon surtout ce dont on disposait. Respects de la pensée d'un créateur, des tempi, de l'orchestration étaient en ce temps-là des notions complètement inconnues.

Aussi cette musique offre-t-elle aux hommes d'aujourd'hui, comme à ceux qui vivaient au XIIIème ou au XIVème siècle, outre les trésors de ses mélodies, l'étrangeté de ses accords et de ses sonorités, un incroyable éventail de ses moindres attraits. La version proposée est l'intégralité des chants et danses du "Livre Vermeil de Montserrat" les instrumentaux sont empruntés aux Cantigas de Santa Maria parlant de la Vierge de Montserrat.

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